Yaya n'était pas musulman

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Auteur : Rodney Salnave
Fonction : Dougan (Scribe)
Date : 10 janvier 2019
(Mise à jour : 13 fév. 2020)

 
Le génocide historico-religieux que subit présentement Haïti n'a pas de borne. Dans leur quête de vider Haïti de sa Révolution et de sa mémoire glorieuse, les révisionnistes génocidaires ne reculent devant rien. Systématiquement, tout élément de valeur chez l'Haïtien est :

  • soit attribué à l'islam,
  • soit attribué à la culture longtemps décimée des Amérindiens taïnos,
  • ou soit attribué aux valeurs des droits de l'homme de la Révolution française contre lesquelles s'opposaient pourtant ouvertement les révolutionnaires dominguois (haïtiens) mobilisés traditionnellement et politiquement par la ferveur royaliste.
Nous sommes donc dans l'obligation de réfuter aussi systématiquement chacune de ces prétentions révisionnistes crapuleuses. Nous nous concentrons ici, bien entendu sur la portion islamique de ce génocide. Ce qui nous amène à aborder le cas de Gillot, alias Yaya, l'un des multiples héros dominguois (haïtiens) à subir l'appropriation islamique génocidaire. 


1- La révision islamique de Yaya

Gillot dit Yaya fut un chef rebelle fugitif (ou marron) des localités du Trou du Nord et de Terrier Rouge, situées au Nord-Est de la colonie française de Saint Domingue (actuellement Haïti). En punition pour ses méfaits meurtriers, il fut exécuté en 1787, soit à peine 4 ans avant l'éclatement de la Révolution haïtienne :
"Au mois de septembre 1787, Gillot, surnommé Yaya, a été condamné au dernier supplice, pour avoir renouvelé, dans les paroisses du Trou et du Terrier Rouge, les scènes qui caractérisent un brigand sanguinaire." (1)
Sans surprise, la révisionniste islamique Sylviane Diouf chercha à s'approprier ce leader dominguois :
"What the French did not realize was that their most profitable colony, Saint Domingue, was fecund ground for Muslim maroons and rebels. The island had always had numerous maroon communities, (...) It is not known if some maroon communities were entirely composed of Muslims, but major communities had Muslim leaders. Yaya, also called Gillot, was a devastating presence in the parishes of Trou and Terrier Rouge, before he was executed in September 1787." (2)
Traduction :
"Ce que les Français n’ont pas réalisé c’est ce que leur colonie la plus prospère, Saint Domingue, était féconde en marrons et rebelles musulmans. L’île a toujours contenu de nombreuses communautés de marrons. (...) Il n’est pas connu si certaines communautés de marrons étaient composées entièrement de Musulmans, toutefois la majorité de ces communautés comprenaient des leaders musulmans. Yaya également appelé Gillot, consistait une présence dévastatrice dans les paroisses du Trou et de Terrier Rouge, avant d’être exécuté en septembre 1787."
Diouf prétend, sans vergogne, "qu'il n'est pas connu si certaines communautés de marrons étaient composées entièrement de Musulmans, toutefois la majorité de ces communautés comprenaient des leaders musulmans". Mais ou sont les preuves de cela? Car rien dans les archives de Saint Domingue ne fit allusion de la religion musulmane au sein des marrons, ni comme un élément subversif en général dans la colonie. Le Colonel Malenfant, un colon de Saint Domingue qui chercha des traces de captifs (esclaves) islamisés à Saint Domingue, en a jamais rencontré personnellement. Il a dû se contenter de l'affirmation verbale d'autres colons ayant jadis possédés :
"Il y a des colons qui m'ont assuré qu'ils avaient eu pour esclaves des noirs mahométants [musulmans], et même des derviches." (3)
Face à la rareté, pour renforcer son argument de l'existence de captifs (esclaves) musulmans à Saint Domingue, Malenfant n'a eu d'autres choix que de s'appuyer sur des contacts qu'il a eus avec le fait musulman hors de Saint Domingue. Comme quoi, la présence musulmane imposante et dirigeante avancée par Diouf est mensongière. Elle ne reflète pas la réalité telle que vécue à Saint Domingue où le fait musulman n'évoquait que de vagues et lointains souvenirs chez une poignée de colons. D'ailleurs, les preuves abonnent dans le sens contraire. Car les colons eux-mêmes, ont relié le marronnage meurtrier aux Congo (qui sont fondamentalement traditionalistes) : 
"On a la preuve dans l'établissement des montagnes de l'acul de Samedi et par conséquent de Vallière. Tous les noms de piton des Nègres, de piton des Flambeaux, de piton des Ténèbres, de crête à Congo, rappellent des époques où des fugitifs se cantonnaient dans des points presque inaccessibles, ne fût-ce que par le défaut de chemins. On se rappelle encore de Polidor et de sa bande, de ses meurtres, de ses brigandages et surtout de la peine qu'on eut à l'arrêter." (4)
Autrement dit, les colons ont associé aux Congo des repères montagneuses de marrons meurtriers à l'Acul de Samedi et à Vallière, des régions voisines de là où opérait Yaya. Et ils n'ont fait aucune mention de marrons musulmans inexistants. Donc, ne serait-ce que sur cet aspect, l'affirmation islamique de Diouf n'est pas crédible.


1.1- Yaya n'était pas le premier chef rebelle de sa région

Les révisionnistes, dans leur quête d'inventer une influence islamique dans la colonie de Saint Domingue, procèdent bien souvent par un tri. Ils taisent volontiers l'existence de la vaste quantité de leaders révolutionnaires, afin de présenter uniquement des individus qu'ils jugent musulmans ou islamisés. 

a) Polydor
Voilà pourquoi la révisionniste Diouf traite de Yaya, sans mentionner que longtemps avant les exploits de ce dernier, les régions du Trou du Nord et Terrier Rouge possédaient en la personne de Polidor, un chef marron bien plus meurtrier :
"La conformation de ces montagnes et de celles des autres paroisses contiguës, (...) tout dispose ces lieux pour être l'asile préféré des nègres fugitifs, qui peuvent choisir ou d'une vie fainéante, difficile à troubler, ou d'un plan de désolation pour les différentes parties exposées à leurs irruptions, sauf à payer de leur vie les crimes qu'ils entassent.
C'est une résolution du dernier genre que la dépendance du Trou à dû les longues vexations que lui fit le nègre Polydor à la tête d'une bande de nègres armés, qui fut enfin détruire par la réunion des habitants du lieu et des environs. L'effroi qu'avait répandu Polydor par ses atrocités était si grand, que sa destruction fut considérée comme un service rendu à toute la colonie; et le nègre Laurent, dit César, qui concourut, avec M. Nautel, son maître, à arrêter ce scélérat dans la savane qui a gardé son nom, où il fut tué, obtint des administrateurs, le 28 juin 1734, la liberté qu'ils avaient promise à l'esclave qui prendrait Polydor, mort ou vif." (5)
Voici un arrêt récompensant ceux qui avaient neutralisé Polydor et son second Joseph :


"ARRÊT du Conseil du Cap, qui accorde à cinq Blancs, employés sur l'habitation Carbon, au bois de Lance, une somme de 1000 liv. à prendre sur la caisse des Droits suppliciés, pour avoir détruit une bande de Nègres-Marons, ayant pour chefs les nommés Polydor et Joseph.
Du 10 juin 1734." (6)
Et la complicité d'un esclave du coin facilita l'assassinat de Polydor et sa bande. Cet esclave a reçu sa liberté en récompense de sa traitrise envers ses congénères :


"ORDONNANCE des Administrateurs, qui, à la demande des Habitants, accorde la liberté à un Esclave pour service rendu à la Colonie, à la charge de servir trois ans dans la Maréchaussée.


Du 28 Juin 1734.
Le Marquis de Fayet, etc.
    Jean-Baptiste Duclos, etc.
   Sur ce qui Nous a été représenté par les Habitants du Quartier et Paroisse du Trou, dépendance du Fort-Dauphin, que les grands désordres faits par le nommé Polydor, Nègre-Maron, nous ayant engagés à chercher des moyens pour les faire cesser promptement ; Nous aurions promis, entre autres chose, la liberté à tout Esclave qui l'arrêterait mort ou vif; que, quoique le nommé Laurent, dit César, Nègre-Esclave du sieur Nautel, Habitant dudit Quartier, ne soit pas celui qui ait le plus contribué à la capture dudit Polydor, lequel aurait été tué, il est cependant vrai qu'il a été d'un grand secours à son Maître, lors de ladite capture..." (7)
Donc, contrairement à l'affirmation spéculative de Diouf comme quoi il se trouvait des captifs (esclaves) islamisés au sein des bandes marronnes, et que leurs leaders étaient de cette religion, rien chez Polydor, Joseph et la bande de marrons du Trou du Nord ne renvoie à l'islam. Pas leurs noms, ni leurs pratiques.

b) Thélémaque dit Canga
Le Nord-Est en général, comprenant la région du Trou, de Terrier Rouge, et autres dépendances du Fort Dauphin (Fort Liberté), a produit d'autres chefs marrons. Après  Polidor, le plus notable étant Thélémaque dit Canga* :
"Depuis et en 1777, le nègre Canga, autre chef de bande et désolateur du canton des Écrevisses, a expié sous le glaive de la loi, de nouveaux ravages..." (8)
Voici l'arrêt de condamnation de Thélémaque dit Canga au 2 octobre 1777 :


"ARRÊT du Conseil du Cap, qui condamne le nommé THÉLÉMAQUE, dit Canga, Nègre esclave, Chef de bande de Nègres marons, convaincu d'avoir ravagé, à la tête de ladite bande armée, plusieurs Habitations des Écrevisses et des Fonds-bleus, et de s'être défendu contre un Blanc; le nommé ISAAC, aussi Nègre esclave, second Chef de la bande, convaincu des mêmes faits; et le nommé PIRRHUS, dit Candide, aussi Nègre esclave de ladite bande, convaincu d'avoir blessé un blanc, à être rompus vifs, à expirer sur la roue, pour être leurs têtes mises sur des piquets dans le grand chemin allant du Fort-Dauphin aux Écrevisses; six autres Nègres et Négresses à être pendus, d'autres au fouet et à la marque; l'Arrêt duement imprimé, publié et affiché, tant au Cap qu'au Fort-Dauphin.
Du 2 Octobre 1777." (9)
Canga, dans Thélémaque Canga, possède une consonance Congo. Cela correspond à l'ensemble des fugitifs de ce nom dans les archives dominguoises :


 "Le 4, Canga, Congo, sans étampe, âgé de 24 ans, taille de 4 pieds 10 pouces, marqué de petite vérole, se disant appartenir à M. Claicheboscau, à Kingston." (10)
Et ce n'est que 10 ans après la mort de Thélémaque Canga qui fut chef de bande dans la région, que Gillot dit Yaya ait subi le même sort. Ainsi, sans enlever aux efforts et au sacrifice ultime de Gillot alias Yaya dans la lutte pour la libération de son peuple, les faits démontrent qu'il faisait partie d'une résistance (à saveur traditionaliste Congo) l'ayant précédée de plusieurs décennies dans la région. D'ailleurs le colon Moreau de Saint Méry précisa que Yaya a simplement "renouvelé" les scènes meurtrières dans les parages.

 

2- Le nom Yaya dans la colonie de Saint Domingue

Avant de proposer qu'un captif (esclave) soit de foi musulmane ou autre, des preuves tangibles doivent démontrer cela. Les révisionnistes ayant échoués à cette tache, regardons pour eux ce que les données archivées pour disent sur le nom Yaya.

a) Marie Yaya
Dès 1726, soit à peine quelques décennies du début de l'importation des captifs (esclaves) à Saint Domingue, Marie Yaya, une captive (esclave) de Petit Goave fut condamnée pour avoir fréquenté des voleurs et assassins, et avoir partagé les effets de leurs crimes :


"ARRÊT du Conseil du Petit Goave, contre plusieurs Esclaves voleurs et assassins, et qui met à prix la tête de plusieurs autres.

Du 6 Mai 1726.
Entre le Substitut du Procureur-Général du Roi au Siège Royal de cette Ville, Demandeur et Accusateur, Appelant de la Sentence rendue audit Siège, le onze Avril dernier; Contre trente Nègres, Négresses et Mulâtresses, Esclaves, Intimés.
(...)
Déclare Marie Goyo, Esclave, Marie Yaya et Madeleine, Négresses, duement atteintes et convaincues d'avoir fréquenté et retiré les nommés Forban, la Rose et Bernard, d'avoir eu un commerce avec eux, et d'en avoir reçu divers effets volés, dont est fait mention au procès ; pour réparation de quoi, les condamne à être pendues et étranglées jusqu'à ce que mort s'ensuive." (11)
b) Yaya dit Jean Baptiste
En 1781, une annonce de marronnage concerne Yaya dit Jean Baptiste :


"Un Nègre nommé Yaya, dit Jean-Baptiste, créole de la Martinique, fort robuste, étampé DANEY, est parti maron depuis dix jours. Ceux qui le reconnaîtront, sont priés de le faire arrêter & d'en donner avis à M. Daney, Négociant au Cap, à qui il appartient." (12)
c) Jean-Pierre Yaya
En 1786, 2 annonces furent émises pour un le même fugitif du nom de Yaya appartenant au colon Fauconet. La première annonce, apparaissant uniquement sur le nom de Yaya, data du 25 janvier :


 "Yaya, taille 5 pieds 4 pouces, étampé FAUCONET, ayant une brulure sur la main droite, marron. En donner avis à M. Fauconet." (13)
La seconde annonce parue le 24 mai, dévoila que le véritable nom de ce fugitif, bon tailleur, fut Jean-Pierre Yaya :


"Un Nègre créole, bon tailleur, se disant libre, prenant divers noms, parlant bon Français, âgé de 22 ans, de la taille de 5 pieds 5 pouces, étampé sur le sein droit FAUCONET, rougeâtre de peau, lui manquant les deux dents à la mâchoire supérieure, sur le devant ; ayant une brûlure sur la main droite et une cicatrice à l’'omoplate droite, très-leste et mince, les pieds grands et les lèvres très épaisses, est marron depuis quatre mois. Le véritable nom dudit nègre est Jean-Pierre Yaya. Ceux qui en auront connaissance sont priés d'en donner avis à M. Fauconet, rue de Conflans et du Vieux Gouvernement, ou à MM. Comard et Bancheraux, négociants au Cap." (14)
d) Anne Yaya
En 1788, l'inventaire du 11 novembre, de l'habitation d'une caféière à Montrouis (dans l'Artibonite), appartenant à Jean Paqué (le comte Delugé) révèle une Créole du nom de Anne Yaya :


"Anne Yaya, créole, âgée de 31 ans, servante. . . 4.500
Agathe, Colocoly, âgée de 39 ans, servante. . . .   3.000
Acanotte, Aguia, âgée de 41 ans, servante. . . . .   2.500
Junon, Arada, âgée de 48 ans, servante. . . . . . .    1.000." (15)
Ces 3 ou 4 Yaya (2 ou 3 hommes et 1 femme) étaient des Créoles. C'est-à-dire qu'ils étaient nés dans les Amériques chrétiennes. Cela diminue de manière gigantesque la possibilité qu'ils soient de foi musulmane.

e) Marie-Françoise Yaya
Finalement, il faut prendre en compte que "Yaya" était également de patronyme de colons à Saint Domingue. Cet avis de 1793, fait état du départ de Marie-Françoise Yaya, une citoyenne du Fort Dauphin (Fort Liberté actuel) qui s'exila pour la Nouvelle Angleterre :


(...)
"DÉPARTS POUR LA NOUVELLE-ANGLETERRE.
         LES CITOYENS,
(...)
Barrousel, Duboulet, Parouneau, Gaillard, et la citoyenne Marie-Françoise Yaya ; tous du Fort-Dauphin." (16) 
Et lorsque l'on tient en compte que fort souvent, les captifs (esclaves) obtenaient (ou adoptaient) les patronymes de leurs propriétaires, le nom "Yaya" perd donc l'exclusivité "africaine" de sa provenance. Et sans cette exclusivité "africaine", la thèse révisionniste islamique tombe à l'eau.

 

3- Le nom Yaya en Haïti

L'usage de Yaya comme nom de famille ou comme surnom s'est perpétué dans l'État indépendant d'Haïti. Jetons un coup d'oeil sur cet aspect.

a) Jean-Baptiste Yaya
Étonnement, en 1814, dans les effectifs de l'armée royale (du Nord) d'Haïti, au sein du 30e Régiment de Sans-Souci,  nous observons un lieutenant du nom de Jean-Baptiste Yaya :


"30e. Régiment de Sans-Souci
État Major, Messieurs,
de Benoit Rau, colonel, C.
de Lejeune, lieutenant colonel, C.
Félix Jean, idem.
Jean Pierre, idem.
Dieudonné Lafleur, sous-lieutenant, quartier-maître.
Pierre Louis Charlot, capitaine, instructeur.
Saint Antoine, capitaine, adjudant major.
Jean-Baptiste Yaya, lieutenant, idem.
Saty, sous-lieutenant, idem." (17)
Était-ce donc le même Yaya qui fut un fugitif 33 ans auparavant? C'est fort possible. Mais quoiqu'il en soit, le lieutenant Yaya a conservé le prénom chrétien "Jean-Baptiste". Il n'a donc pas opté pour un nom musulman, alors qu'il était libre en 1814. Était-ce qu'il a jamais été musulman? Nous ne saurons le dire.

b) Caminère dit Yaya
Au 6 avril 1851, les journaux de Port-au-Prince mentionnaient Caminère dit Yaya, au cours d'un procès concernant une conspiration contre le gouvernement Soulouque :


"Frédéric aîné, dans sa confrontation avec Cazeau nia ces faits ; cependant il reste constant qu'il a eu connaissance de la circulation de ce manifeste par la révélation que lui ont faite le sénateur Clervau et son frère Caminère dit Yayale samedi soir, la veille de son arrestation." (18)
Frère d'un sénateur du nom de Clervau, lui aussi ayant informé du complot, Caminère dit Yaya devrait être un Créole (donc né dans l'île). Conséquemment, on doute fort que son surnom Yaya ait eu un quelconque lien avec une religion telle qu'elle soit. Et encore moins de lien avec la religion islamique qui n'a sans doute pas été transférée à la génération des Créoles ; quand islam il y a eu.
 
c) Sanilia dit Yaya
Ce qui est cependant évident est qu'en Haïti, le nom Yaya n'est pas du tout associé à l'islam. Il demeure un nom propre ou un surnom ordinaire. Par exemple, dans ce rapport de terrain de 1974, on donna la fiche de cette traditionaliste du nom de Sanilia, est surnommée Yaya :
"Prénom : Sanilia.
– Surnom : Yaya
– Age : 32. 
– Sexe : Féminin. 
– Profession : Marchande de clairin (rhum brut récolté au sortir de l’alambic). 
– Domicile : Jacmel. 
– Religion : Baptisée catholique. N’a pas fait sa première communion, ne va jamais à l’église. – Houmfor [temple vaudou fréquenté]: « J’y vais depuis que je suis bébé, dans les bras de ma maman.». – Kanzo [étape d’initiation]: A été initiée à l’âge de 28 ans par la « mambo » – Thémélise, Elle a dû attendre, faute d’argent. – Pourquoi?: « Je voyais souvent des « loa » dans mes rêves et même d’ « Erzulie Dantor » et de « saint Jacques-le-Majeur ». » 
– Parents : Père paysan, mère vendeuse au marché. Ni l’un, ni l’autre ne sont « kanzo », mais ils servent les « loa ». 
– Frères et sœurs : Trois sœurs, toutes « kanzo ». (...)
– Présence au « houmfor » : Chaque jour." (19)
Nulle ne saura confondre Sanilia, cette fervente traditionaliste vendeuse d'alcool fort, surnommée Yaya, avec une musulmane.

d) Yaya folklorique
Ce n'est guère surprenant que nous n'avons pas, jusqu'ici, trouvé de rapport entre le nom ou surnom Yaya avec l'islam. Car, dans la culture haïtienne, qui découle directement de l'expérience vécue dans la colonie de Saint Domingue, le prénom Yaya réfère en premier lieu à un personnage de conte. Dans ce conte populaire intitulé "Yaya, Ti Roro et Banda", Yaya est le père de Ti Roro et le propriétaire de Banda, l'âne. Et rien dans ce conte pour enfants ne réfère à la religion, ni à l'islam.
Implicitement, la culture haïtienne conçoit Yaya également tel le surnom d'un bébé dormant. Plusieurs chansons exhibent cette compréhension. Par exemple, dans sa chanson "Neuf heures et demie" (Anasilya, 1986), le musicien légendaire Ti Paris entonne : Li lè pou l fè Yaya dodo. Dodo Yaya. Dodo cheri. C'est-à-dire, "C'est l'heure qu'il fasse dormir Yaya. Dors, Yaya. Dors, chéri". Une autre chanson, folklorique, cette fois-ci, est intitulée : Ti Yaya nou pa bezwen kriye. (Mimi Barthélémy. Dis moi des chansons d'Haïti. Paris, 2007. p.11.) Cela revient à dire : "Petit (ou petite) Yaya, il ne faut pas pleurer".
Puis, sans aucun doute, la référence la plus répandue demeure la chanson folklorique Balanse Yaya, c'est-à-dire littéralement, "Balançons Yaya". Mais dans le contexte du bébé dormant, "Berçons Yaya".



Source : Mimi Barthélémy. Dis moi des Chansons d'Haïti : Chansons Traditionnelles illustrées par des peintures d'artistes haïtiens chantées et racontées pour les enfants. Paris, 2007. p.34.

Dans la berceuse haïtienne "Balanse Yaya" est étalé une liste de biens que le parent promet à Yaya, son bébé dormant. Parmi ces biens énumérés, on retrouve notamment un "beau cochon" et une "belle prière" qui sont "pour Yaya". L'association du cochon (un élément banni dans l'islam) à la prière serait fortement blasphématoire dans un contexte islamique. Or, ces 2 éléments, incompartibles selon la doctrine musulmane, sont pourtant reliés au nom Yaya. Cela exprime à quel point la culture haïtienne est étrangère à l'univers mahométan.
D'ailleurs, le fait que le porc est ici qualifié de "beau", va à l'encontre, non seulement de l'islam, mais de l'ensemble de la vision abrahamique partagée par l'islam, le christianisme et le judaïsme. Cette berceuse se loge cependant parfaitement dans la sphère traditionaliste de penser, autant que Yaya, le nom ou surnom folklorique haïtien. 
Et fort souvent, cette chanson "Balanse Yaya" accompagne un jeu traditionnel dans lequel les joueurs bougent chacun une petite pierre au rythme de la musique ; à la manière du jeu de la chaise musicale. C'est significatif, puisque dans le Créole haïtien, Yaya est également un verbe. Dans l'expression créole "Yaya ", il signifie "remuer son corps", "bouger", "danser" (20) ou entreprendre des activités physiques du même ordre.




4- Le nom Yaya dans le contient-mère

De quelle territoire provenait le nom Yaya? La révisionniste Diouf base son affirmation islamique sur la popularité de Yaya comme prénom chez les populations d'"Afrique" de l'Ouest, aujourd'hui largement islamisées. Mais quelle fut la provenance de Yaya du temps de la colonie de Saint Domingue?  
Les archives de Saint Domingue ne nous permettent pas répondre à cette question, étant donné que la totalité des captifs (esclaves) au nom de Yaya jusqu'ici rencontrés furent des Créoles ; donc nés dans l'île, ou du moins dans les Amériques. Fort heureusement,  la base de données www.slavevoyages.org nous offre une alternative. Mais cette alternative est loin d'être parfaite. Elle n'offre que de noms de captifs (esclaves) destinés à des colonies autres que Saint Domingue. Et de plus, les noms de ces captifs (esclaves) furent recueillis plusieurs années après l'indépendance d'Haïti (1er janvier 1804).
Voici, néanmoins, les profils des captifs (esclaves) au nom de Yaya sur leur base de données. Il s'agit ici de captifs (esclaves) dont les bateaux les transportant illégalement furent confisqués en pleine mer par la cour internationale de l'époque :



Captifs (esclaves) nommés Yaya, lieux d’origine, destination, etc.
ID
Nom
Age
Taille [in]
Genre
Religion
Voyage ID
Nom du bateau
Date
d’arrivée
Lieu
D’embarcation
Lieu de débarquage
5324
Yaya
13
57.0
Fille
islamisée
2947
Bella Eliza
1824
Lagos, Onim
Freetown
9485
Yayah
23
63.0
Femme
ancestrale
2841
Lynx
1827
River Brass
Freetown
10621
Yahyah
18
58.0
Femme
ancestrale
2970
Dos Amigos
1827
Badagry
Freetown
15558
Yahya
9
47.0
Fille
ancestrale
3015
Triumpho
1828
Anamabu
Freetown
23531
Yayah
24
61.0
Femme
ancestrale
2418
Maria
1831
Gallinhas
Freetown
23534
Yayah
16
60.0
Femme
ancestrale
2418
Maria
1831
Gallinhas
Freetown
29366
Yaya
11
56.0
Garçon
islamisé
2444
Tamega
1834
Lagos, Onim
Freetown
30933
Yahyah
20
61.0
Femme
ancestrale
3047
Antrevido
1835
Whydah
Freetown
35100
Yaya
10
49.0
Fille
islamisée
3048
Thereza
1835
Lagos, Onim
Freetown
104040
Yaya
11
66.0
Garçon
ancestrale
7508
Andorinha
1812
West Central Africa
Freetown
104041
Yaya
11
53.75
Garçon
ancestrale
7508
Andorinha
1812
West Central Africa
Freetown
180656
Yayah
25
69.0
Homme
islamisé
3620
Telessro(a)
Tebessan
1847
Bight of Benin
Freetown

Sources : http://www.slavevoyages.org/resources/names-database


De cette liste de captifs (esclaves) appelés Yaya, nous retenons d'entrée de jeu que Yaya n'est pas un nom arabe. Les lieux d'embarcation révèlent qu'il est un prénom "africain" pré-islamique répandu aussi bien dans l'Ouest qu'au Centre du continent. De plus, de 1812 à 1847, sur cette liste, seulement 4 des 12 captifs portant le nom de Yaya étaient d'adhésion islamique.** C'est-à-dire un tiers seulement. Et les islamisés provenaient de 2 points d'embarquement : a) de Lagos, Onim, au Nigeria actuel ; puis b) du Golfe du Bénin (Bight of Benin), donc du Bénin actuel.
Alors, vérifions si ces Yaya islamisés auraient appartenu à cette religion quelques décennies avant, à l'époque de la colonie de Saint Domingue.


a) Le Golfe du Bénin

L'un des 4 Yaya islamisés était originaire du Golfe du Bénin (Bight of Benin), un haut lieu de la religion traditionnelle.


(Golfe du Bénin en 1793)
Source : "Dahomy and its environs by R. Norris.", 1793. In : Archibald Dalzel. The history of Dahomy, an inland Kingdom of Africa. New York Public Library Digital Collection ; Lien permanent : http://digitalgallery.nypl.org/nypldigital/id?1107222
 
Les colons de Saint Domingue sont du même avis :
"Selon les nègres aradas, qui sont les véritables sectateurs du Vaudoux dans la colonie, et qui en maintiennent les principes et les règles... (...) Il est très-naturel de croire que le Vaudoux doit son origine au culte du serpent, auquel sont particulièrement livrés les habitans de Juida [Ouidah], qui le disent originaire du royaume d'Ardra [Arada ou Rada dans le rituel haïtien], de la même Côte des Esclaves..."  (21)
De plus, ce captif du nom de Yaya en question fut embarqué en 1847. Vu l'exposition tardive (après 1830) du Golfe du Bénin à une présence islamique d'importance, la probabilité qu'un tel individu aurait été de foi musulmane, du temps de la colonie de Saint Domingue (donc avant 1791) est très faible : 
"Hence, the presence of Islamic factor in the Bight of Benin can be traced most especially to the late eighteenth century, and at the ports of Porto Novo and Lagos, not Ouidah. In the last years of the trans-Atlantic slave trade from the 1830s, the Muslim présence was more pronounced, both as victims of the trade and merchants of the trade." (22) 
Traduction :
"Par conséquent, la présence du facteur islamique dans le Golfe du Bénin peut être attribuée principalement à la fin du XVIIIe siècle et aux ports de Porto Novo et de Lagos, et non de Ouidah. Dans les dernières années de la traite transatlantique des esclaves à partir des années 1830, la présence musulmane était plus prononcée, à la fois en tant que victimes du commerce et marchands du commerce." 
Cependant, aussi mince qu'elle puisse être, cette possibilité demeure tout de même pour le port de Porto Novo (et celui de Lagos, que nous allons voir). Donc, qu'un captif (esclave) s'appelait Yaya à Saint Domingue ne garantissait pas qu'il était de foi musulmane, comme l'a supposé Diouf. Mais, quoiqu'il était plus probable que ce captif (esclave) était traditionaliste, les preuves ne nous permettent pas non plus d'écarter cette possibilité islamique du revers de la main.


b) Lagos, Onim

Les 3 autres des 4 Yaya islamisés provenaient du port d'embarcation de Lagos, zone côtière du Sud du Nigeria alors peuplée principalement de Yoruba traditionalistes.


(Les Iles de Lagos et la ville de Badagry, au Nigeria actuel)
Source :  https://www.google.com/maps/@6.541838,3.4281102,10z

Mais, en supplément de sa population Yoruba traditionaliste, Lagos abritait une mince quantité d'esclaves Haoussa islamisés originaires du Nord du Nigeria. Et il est envisageable que, du temps de la colonie de Saint Domingue, l'on en vendit certains, dont quelques-uns répondant au nom de Yaya. Cependant, la pratique dite "islamique" de ces Haoussa étaient mélangée avec leur culte traditionnel dénommé Bori.


(Culte Bori des Haoussa du Nigeria)
Source : Christoph Henning, Klaus E. Müller, Ute Ritz-Müller. Afrique-La magie dans l’âme : rites, charmes et sorcellerie. Könemann, 2000. p.284.

Ces Haoussa traditionalistes honorant les Bori, c'est-à-dire leurs Esprits ancestraux, formaient la majorité de ceux ciblés par les capteurs d'esclaves. (23) Ils se sont donc retrouvés en très grand nombre à Saint Domingue. Le rituel traditionnel haïtien retient de leur culte ancestral (comme celui des Peuls, leurs voisins), la désignation "chevaux" qui s'applique aux participants en possession. Ceux-ci étant "chevauchés" momentanément par les Esprits :
"La danse se transforme en état de possession. La relation entre l'esprit et le médium est exprimée par l'image du "cheval" (le médium) et du "cavalier" (l'esprit). Les médiums masculins sont appelés doki ou étalon, les médiums féminins godiya ou jument." (24)
Ce syncrétisme religieux haoussa (mélange de l'islam avec la religion traditionnelle) déplaisait à Ousmane Dan Fodio, un puriste musulman, qui au 21 février 1804 déclencha une guerre sainte ou djihad contre les Haoussa de Gobir (au Nord du Nigeria) qui solidifia le culte islamique chez les nobles Haoussa. Mais malg le djihad de Dan Fodio qui dura plusieurs années, et les persécutions qui ont enchainé, le culte des Bori perdura au Hausaland, particulièrement en milieu rural :
"En réalité, nous ne savons pas bien comment s'est constitué ce peuple aujourd'hui musulman qui se donne des origines islamiques mais profondément ancrées dans la vieille culture animiste.
(…)
La population islamisée, est encore fortement influencée par les croyances traditionnelles, et son éventail social reflète le degré d'imprégnation de l'islam. Les nobles, les courtisans, les administrateurs, les artisans et, en général, les citadins affectent une observance plus ou moins stricte, et se démarquent des couches rurales, constituées d'hommes libres et d'anciens captifs. Comme chez les Djerma de la vallée du Niger, les cultes de possession et le maraboutisme sont pratiqués en de nombreuses circonstances. Les couches supérieures de la société ont été fortement islamisées après la guerre sainte du réformateur peul Ousmane dan Fodio au début du XIXe siècle." (25)
La ferveur de la tradition Bori, encore observée en terre Haoussa témoigne que ce peuple était d'avantage traditionaliste à l'époque de sa traversée vers Saint Domingue, en 1791 au plus tard. Car, aubut du djihad de Dan Fodio le 21 février 1804, Haïti était déjà indépendant au 1er janvier de cette même année, et la traitre inopérante plus de 12 ans auparavant.
D'ailleurs, ce même tableau dévoile qu'en 1827, une femme traditionaliste au nom de Yaya fut embarquée à Badagry. Badagry, cette ville voisine de Lagos, fut mêmement peuplée de Yoruba qui ont amené à la religion traditionnelle haïtienne le rite guerrier Nago, au centre duquel se trouve le culte des Ogoun dont Ogoun Badagri.
Nous pouvons donc affirmer que la majorité des captifs (esclaves) s'appelant Yaya naviguant vers les Amériques, était traditionaliste. Car ce ne fut qu'en 1830 que l'expansion de la présence islamique fut considérable dans les ports du Sud du Nigeria et du Golfe du Bénin. Cela se reflète dans les 3 des 4 captifs (esclaves) islamisés au nom de Yaya qui furent embarqués après 1830, c'est-à-dire en 1834, 1835 et 1847. Alors analysons d'autres points d'embarcation sur cette liste et les liens conservés dans la littérature et la mémoire haïtienne.


4.1- Le nom Yaya dans le rituel haïtien

Le nom de 2 Yaya traditionalistes trouve écho dans la culture haïtienne, à savoir : a) le Yaya originaire des Iles Bissago ; et b) le Yaya venant du Congo.

a) Yaya et l'ethnie Bissago
2 parmi les 11 captifs (esclaves), dénommés Yayah, embarquèrent dans le même navire, depuis Gallinhas. Il s'agit d'une des Iles Bissago appartenant à la Guinée Bissau :

(L'île de Gallinhas et l'ensemble des Iles Bissago, au Guinée-Bissau actuel)
Source : "Map of the sectors of the Bolama Region, Guinea-Bissau". Lien permanent : https://en.wikipedia.org/wiki/Galinhas#/media/File:Map_of_the_sectors_of_the_Bolama_Region,_Guinea-Bissau.png

Gallinhas, faisant partie des Iles Bissago, se situe effectivement dans la zone sénégambienne ayant eu des contacts anciens et continus avec l'islam. Cependant, les habitants des Iles Bissago sont reconnus pour avoir repoussé la conversion islamique :
"Bissago ou Bijago (Iles). Archipel de la Guinée-Bissau comportant dix-huit iles (…) Les habitants, Bidjogo, opposèrent aussi bien une forte résistance aux Portugais qui découvrirent l'archipel en 1456 et qui s'établirent dans les comptoirs côtiers du continent. Ils refusèrent aussi bien le christianisme que l'islam ; aujourd'hui, 95% des 10000 habitants sont animistes. La société est structurée en clans matrilinéaires, avec une prêtresse pour l'entretien du feu sacré et la divination..." (26)
En Haïti, dès 1837, fut répertoriée une danse "africaine" du nom de "Yaya Bisango" :


"Je citerai par exemple les airs les plus estimés, extraits de ces différentes danses: Sor Zabett Congo, Yaya Bisango, Amélinn, Mayemba, Imbimm oh! mais le connaisseur créole n'a qu'à entendre résonner un de ces airs, fût-il joué pour la première fois, qu'il distingue sur le champ à quelle danse il appartient." (27)
L'existence de cette danse dite "Yaya Bisango" cache le fait qu'il fut amené qu'une très faible quantité de Bissago dans la colonie de Saint Domingue :
"Presque en face des Mandingues, et en tirant au Midi, sont les îles des Bissagots, dont la traite appartient aux Portugais. Il en vient fort rarement..." (28)
Mais pourtant, ce peuple Bissago est fortement notoire en Haïti. Et ce, non en vertu d'une foi musulmane quelconque, mais plutôt en fonction de leurs pratiques traditionalistes et magiques redoutées, organisées et véhiculées à travers les sociétés secrètes Bizango qu'ils ont créées dans l'île. Et quoique traditionalistes, ces sociétés secrètes Bizango sont à l'écart de la religion traditionnelle haïtienne régulière. Car leurs pratiques, grandement redoutées, ne s'accordent pas avec les codes morales de la religion traditionnelle franche. Cela provient du comportement peu recommandable de l'ethnie Bissagot depuis sa terre natale :


"Les Bissagots sont grands, forts et robustes ils ne se nourrissent cependant que de coquillages, de poissons, d'huile de palme et de noyaux de palmier, qu'ils appellent chavaux. Ils vendent aux Européens, le mil, le riz et les légumes qu'ils recueillent. Ils ont une passion extrême pour l'eau-de-vie ; ils en consomment beaucoup, et cet article leur est vendu, très-cher.
La passion pour l'eau-de-vie est si forte en eux, qu'elle les rend furieux et dénaturés. Dès qu'un bâtiment se présente et qu'il met en vente cet article, c'est à qui en aura en plus grande quantité et sera plus promptement servi. Le plus faible devient alors la proie du plus fort. Le père vend ses enfants, et si l'enfant peut saisir son père et sa mère, il les conduit aux Européens, les vende et les troque pour de l'eau-de-vie ; il fait débauche ensuite, et se réjouit tant que dure le prix des auteurs de ses jours.
Tous ces peuples sont idolâtres et naturellement cruels ; ils coupent la tête des hommes qu'ils ont tués, promènent leurs corps dans les rues, les écorchent, en font sécher la peau avec la chevelure, et ils en parent le devant de leurs maisons, comme une marque de leur bravoure et de leurs victoires." (29)
Donc, si le rebelle du nom Yaya provenait de l'archipel des Bissagots, les actes sanguinaires qu'on lui reprochait à Saint Domingue s'alignaient : 1) à la manière bissagot de traiter ses ennemis avec cruauté ; 2) à la manière les sociétés secrètes haïtiennes Bizango ont la réputation d'agir (à tort ou à raison). Mais, quoi qu'il en soit, jusqu'ici, aucun élément historique de permet de préciser l'ethnicité de Gillot surnommé Yaya.

b) Yaya et la tradition Congo
La danse spirituelle/folklorique au nom de "Yaya Ti Kongo" évoque l'appartenance Congo du nom Yaya. Mêmement, des Divinités opérant dans les diverses rites issus de cette région portent ce nom. Citons par exemple, les Lwa ou Jany suivants : Yaya, Manbo Yaya, Yaya Poungwe, Simbi Yaya, Lawouye Simbi Yaya, Ti Yaya Toto, etc.
Ce chant sacré de la religion traditionnelle fait mention de Yaya :


Mwen salonge, 
Yaya, n ap salonge
apre Bondye nan syèl

Traduction :
Je suis (en train de) salonge
Yaya, nous sommes (en train de) salonge
après le Bon Dieu dans le ciel
  
Toutefois, quoiqu'il peut servir de surnom, ce Yaya n'est pas réellement un nom propre. Il provient de la langue Kikongo dans laquelle Yaya veut dire grand mère (ou du Lingala pour grand frère ou grande soeur) :
"Yaya : 1) grand mère (f) ; 2) titre respectueux d'un oncle maternel, d'un aîné..." (30)
Et dans le Créole haïtien, Yaya réfère similairement à une grand-mère ou à une tante :
"Yaya 1. n. prop. tante Yaya." (31)
Ce n'est donc pas anodin que ce court roman historique de 1836 présenta, ce personnage d'une grand-mère au nom de Yaya :
"Il ne restait plus de doute sur l'espèce de la maladie ; aussi n'était-il point de malédictions que la vieille Yaya ne proférât contre la secte infernale, dite cochon-sanspoil." (32)   
Voilà qu'à peine 32 ans après l'indépendance d'Haïti, pourtant un personnage nommé Yaya ne reflète pas le portrait islamique que la révisionniste Diouf colla au nom Yaya. Au contraire, nous baignons entièrement dans un univers traditionaliste et syncrétique haïtien. Au nom Yaya, l'auteur Ignace Nau associa une multitude de situations et mots-clé qui font toujours allusion (à tort ou à raison) à la religion traditionnelle et syncrétique haïtienne
  • Bondieu (nom du Créateur, non pas Allah)
  • Hommes à macoute (qui sont des vaudoux)
  • Papa loi (Nom des grands officiants traditionalistes)
  • Mangé-marassa (offrandes aux Divinités Jumelles)
  • Conseillers caplata (magiciens)
  • Chants traditionalistes historiques : "Cangay bafio té", "Hé! hé boumba houm!"
  • Collier (de protection magique) maldioc
  • Loup-garou
  • Secte dite cochon-sanspoil
  • Eau bénite, encens et tige de palmiste bénite le jour des rameaux
  • Chapelet et pèlerinage aux autels de Higuey
  • Etc.
Car, Yaya, la grand-mère, afin protéger sa fille et ses petits-enfants de la maladie, des mauvais esprits et des loups-garou, n'utilisa point de références coraniques ou islamiques. Elle s'est servie cependant d'eau bénite, d'encens, de chapelets, de tiges de palmistes, et d'autres ingrédients syncrétiques (catholiques et traditionnels). (33) Autrement dit, loin d'être un héritage islamique, en Haïti, le nom Yaya, en référence à une personne âgée, est un legs du Congo traditionaliste.

 

5- La Nation Yaya dans la colonie de Saint Domingue 

À Saint Domingue, il arrive fréquemment que l'ethnie d'un captif (esclave) devienne son nom ou son surnom. Ainsi, le surnom Yaya du rebelle Gillot pourrait bien lui avoir été attribué en référence à son ethnie. Or, à Saint Domingue, il se trouvait également une ethnie ou Nation Yaya :

"Au Fort-Dauphin, le 1 du courant, un Nègre nouveau, de nation Yaya, étampé sur le sein droit BDF, arrêté au Mont-Organisé, n’ayant su dire son nom ni celui de son maître." (34)
N'ayant point localiser ce peuple Yaya en "Afrique" de l'Ouest, le rapprochement le plus proche qu'il nous est permis d'établir est avec le peuple Munyo Yaya du Kenya. Les Munyo Yaya, habitant principalement le District de Tana River, mais initialement d'Éthiopie, fut traditionalistes de longue date. Forment-il le peuple identifié comme Yaya à Saint Domingue? Nous ne pouvons pas l'affirmer avec certitude. Toutefois, les Munyo Yaya servirent longtemps de captifs au peuple Galla. Donc, leurs ventes dans le circuit esclavagiste est-"africain", et leur embarcation subséquente pour Saint Domingue est fort possible. Car les échanges existaient entre la grande région de Korokoro et les intermédiaires esclavagistes arabes et swahili. (35) 
D'ailleurs, l'ethnie Kamba ou Akamba du Kenya fut retrouvée à Saint Domingue*** :


 
"Augustin, nation Camba, âgé de 18 ans, taille de 5 pieds 2 pouces, étampé VAIDIÉ, ramené de l'espagnol." (36) 
Dans cette même annonce, on signala également l'arrestation d'un autre captif (esclave) appartenant à l'ethnie Macamba :
 
"Sucemond, nation Macamba, étampé GDR, âgé de 24 ans, lequel n'a su dire le nom de son maître, ramené de l'Espagnol." (37)  
Similairement, la nation appelée Oluou à Saint Domingue est issue du Kenya. Il s'agit plus précisément du peuple Luo parlant le Dholuo


5.1- Présence des captifs (esclaves) venant de l'"Afrique" de l'Est

Mais certains argumenteront que l'"Afrique" de l'Est, où se situe le Kenya, ne fournissait pas autant de captifs (esclaves) à la colonie de Saint Domingue que le faisaient l'"Afrique" de l'Ouest et Centrale. Ils n'auront pas tort. Mais, l'arrivage à Saint Domingue de captifs (esclaves) extirpés de l'"Afrique" de l'Est est massivement sous-estimé. Les archives en donnent la preuve.

a) Mozambique
Les journaux de Saint Domingue regorgent d'annonces soulignant des captifs (esclaves) du Mozambique. Ils furent généralement désignés par le nom générique de "Mozambique" :


"Au Port-au-Prince, le 2 de ce mois, Zabel, Mozambique, étampé J GARNIER, au-dessous, AU CAP, ayant des marques de son pays sur la figure, ne pouvant dire le nom de son maître ; (...) le 3, Jason, Mozambique, sans étampe, ayant des marques de son pays sur la figure, se disant appartenir à Mrs Meynardie, Picard & Compagnie ; Pantin, Adrien, Laurent et Maurice, Mozambiques, étampés LOMO, se disant appartenir à M. Lomo, à Saint-Marc." (38)
Certes, nous assistons ici à une surreprésentation des captifs (esclaves) venus du Mozambique. Car, en proportion de leur nombre, les "Mozambiques" furent de loin les plus ferveurs adeptes de la fuite (ou du marronnage) dans l'île. Mais on repéra également à Saint Domingue, la nation Maquoua ou Macoua présentée sur son véritable nom ethnique :


"Le 18, une Négresse nouvelle, Macoua, étampée sur le sein droit I.B.B, âgée de 16 ans, taille de 4 pieds 10 pouces, ayant la lèvre supérieure percée, ne pouvant dire son nom ni celui de son maître." (39)
On remarqua aussi un nombre impressionnant de fugitifs de la nation dite Kiamba, Quiamba ou Quiembo, à Saint Domingue. Il s'agissait d'individus capturés dans les Îles Quirimbas du Mozambique, comme la nation dite Hibou (ou des fois Ybo, ou même Ibo)**** provient de l'île Ibo adjacente servant de comptoir esclavagiste. Pareillement, les captifs (esclaves) arrachés du district de Manica en Mozambique formèrent la nation Maniga ou Maninga à Saint Domingue. (40)
  
b) Tanzanie
Dans la colonie dominguoise, on croisait parfois l'ethnie Macondé, venant principalement de la Tanzanie, et en de moindre mesure du Mozambique et du Kenya :
"Jean-Pierre, Macondé, étampé, autant qu'on a pu le distinguer, DESHO & REGHIER, ne pouvant dire le nom de son maître." (41)
Les colons de Saint Domingue plaçaient une pléiade d'ethnies sous l'étiquette "Mozambique", des captifs (esclaves) parmi lesquels, le colon historien Moreau de Saint Méry identifia des Quiloi et des Montfiat. (42) Nous savons désormais que la nation Quiloi est issue de l'île Kilwa de la Tanzanie. Également une île tanzanienne, le nom de Monfiat a cependant a subit des transformations au fil du temps. Il devint Mon fee, et de nos jours, est nommé Mafia. (43)

c) Mayote  
En "Afrique" de l'Est, dans l'Océan Indien, le long du Canal de Mozambique fourmille d'îles. Saint Domingue, la vorace, s'y alimente aussi bien ; notamment à Mayotte, dite Mayoute :


"Le 10, Lafortune, Mayoute, étampé sur le sein droit …, âgé de 29 ans, taille de 5 pieds, ayant des [mar]ques de son pays sur les joues, et avoir reçu un coup [de] fusil, se disant appartenir à Mme veuve Gentille, Habi[tant] au Petit-Trou." (44)
Il est à souligner que le mot Mayoute se perpétue dans la religion traditionnelle haïtienne, notamment à travers les chants sacrés. Le mot Mayotte, à proprement parler, réside dans Lamayòt (La Mayotte), l'appellation d'un personnage masqué jouant un rôle catalyseur dans les défilés carnavalesques haïtiens. (45)
  
d) Madagascar
Et bon nombre de ces captifs (esclaves) étaient issus du Madagascar, la grande île baignant dans l'Océan Indien, au large de l"Afrique" Orientale. À Saint Domingue, on les classifiait soit sous la bannière "Madagascar", ou comme membres de la nation Malgache, Malgasse, ou Malagasse :


"Zéphir, de couleur très-claire, pouvant être pris pour Mulâtre, sans étampe, de nation Malgache, de la taille de 5 pieds 1 pouce ou à peu près, ayant l'oeil agard, les cheveux épais, les épaules très-élevées, l'accent Indien, & très-marqué, appartenant ci-devant à M. Cornu, est parti marron du Cap le 17 du courant : en donner des nouvelles à M. Gerard, greffier en chef au Fort-Dauphin, à qui il appartient. Il y aura une portugaise de récompense." (46)
Ces captifs (esclaves) venant du Madagascar étaient ethniquement diverses, comme ce l'est encore de nos jours. On y retrouvait des Noirs, des métissés, et des Hindous (ou Indiens). Ceux sont ces derniers portant le nom d'Indiens dans les annonces, qui laissaient croire à certains mal informés qu'il s'agissait d'Amérindiens.

e) Éthiopie
On ne saurait ne pas mentionner cette captive (esclave) affranchie de renom originaire d'Éthiopie. Marthe Adélaïde Modeste Testas, surnommée Modeste Testas ou Pélagie, naquit en 1765 à Adele (Adele Keke, dans la région d'Arari située à la frontière éthiopio-somalienne). Elle fut la grande mère maternelle de François-Denys Légitime, ancien président provisoire d'Haiti (18 décembre 1888 - 22 août 1889).


(Statue à Bordeaux de Modeste Testas, captive (esclave) dominguoise affranchie venant d'Éthiopie)
Source : http://www.raphaeladjobi.com/archives/2019/06/05/37405338.html 

À la naissance, Modeste Testas a reçu le nom d'Oriol-Poci ou Alpouci. À l'adolescence, elle fut kidnappée par le membre d'une autre ethnie cherchant à se venger de son père parti en pèlerinage. Vendue en esclavage par son ravisseur, elle transita d'abord par Bordeaux en France. Puis elle atterrit à Port-au-Prince où elle fut achetée par François Testas qui en fit sa compagne. Elle fut ensuite conduite à Jérémie, dans le Sud-Est de Saint Domingue.


(François-Denys Légitime, 16e président d'Haïti, petit-fils de Modeste Testas)
Source : François-Deny Légitime. Histoire du gouvernement du général Légitime, Président de la République d'Haïti. Paris, 1890.

Après avoir été affranchie à la mort de François Testas en juillet 1795, Modeste Testas ou Pélagie s'est mise en couple avec Joseph Lespérance, lui aussi affranchi par le même maître. Ils eurent plusieurs enfants, dont Antoinette "Tinette" Lespérance, la mère du président Légitime. (47)

(Antoinette "Tinette" Lespérance, la mère du président Légitime, et la fille de Modeste Testas)
Source :  Andre F. Chevallier. "Président Légitime" In : Aya Bombé! Revue mensuelle. No.8. Port-au-Prince, Mai 1947. p.8.


5.2- Présence des captifs (esclaves) venant de l'"Afrique" Australe

Poussons plus loin notre argument selon lequel la présence à Saint Domingue de captifs (esclaves) non issus de l'Ouest ou du Centre du continent "africain" est massivement sous-estimée. En longeant la côte orientale de l'"Afrique", nous atterrissons en "Afrique" Australe, c'est-à-dire au Sud du continent. Le prochain pays en liste est le Zimbabwe. Là fut l'emplacement d'un Empire qui couvrait l'étendu austral du continent, d'un océan à un autre. Il s'agit de l'Empire de Mutapa, appelée également Grand Zimbabwe ou Monomotapa :
(L'Empire du Monomotapa)
Source : Willem Janszoon Blaeu, 1635. "'Aethiopia inferior, vel exterior'; copperplate map from 'Theatrum orbis terrarum sive atlas novus' Published in Amsterdam." ; Lien permanent : http://libweb5.princeton.edu/visual_materials/maps/websites/africa/maps-southern/1635%20blaeu.jpg

Cette Empire fut reconnue pour ses remarquables constructions coniques en brique :
Source :  Jan Derk, 1997. "Inside of the Great Enclosure which is part of the Great Zimbabwe ruins" ; Lien permanent : https://en.wikipedia.org/wiki/Shona_people#/media/File:Great-Zimbabwe-2.jpg
(Ruines d'un site du Monomotapa)
Sources : "Zimbabwe Closeup", 2008. ; Lien permanent : https://fr.wikipedia.org/wiki/Empire_du_Monomotapa#/media/File:Great_Zimbabwe_Closeup.jpg

Le colon historien Moreau de Saint Méry identifia à Saint Domingue des captifs (esclaves) que l'on classifia de "Monomotapa". (48) Cependant, dans les annonces de marronnage, on les désignait, en référence au Royaume de Mutapa, comme membres de la nation Matapa, Atapa ou Tapa :
"Le 20, Jasmin, nation Matapa, sans étampe, âgé de 30 à 36 ans, taille de 5 pieds 2 pouces, se disant appartenir à M. Bernard." (49)
Dans la colonie, les captifs (esclaves) issus de ce Royaume se faisait aussi appelés en fonction d'un point du Royaume de Mutapa que fut Danangombe. Dans les annonces, les dérivés de Danangombe furent multiples : Dagouamba, Daguamba, Dangouama, Dangoname, Dangoua, Dagouan, Danguan, Danguam, Dangonem, Bangouam, Dagouam, Dangoma, Dangouan, etc. :


"Le 24, Charles, Dagouamba, étampé en fer à cheval CHASTULE, refusant de dire le nom de son maître." (50) 
Du nombre des captifs (esclaves) de Saint Domingue, se trouvaient également des Limba (ou Linba) qui provenaient du Zimbabwe, de l'Afrique du Sud et du Malawi. Cependant, il serait difficile de les distinguer de ceux de l'ethnie Limba venant du Cameroun. Et finalement, la Nation sacrée Zoulou ou Nanchon Zoulou originaire de l'Afrique du Sud, a sa place dans le rituel traditionnel haïtien. Une preuve supplémentaire de la présence de captifs (esclaves) natifs de l'"Afrique" Australe à Saint Domingue. 

Bref, cette ethnie Yaya pouvait aussi bien référer au peuple traditionaliste Munyo Yaya du Kenya qu'a un autre peuple qui échappe pour l'instant. Ce peuple Yaya répertorié à Saint Domingue pouvait tout aussi avoir aucun lien avec le surnom de Gillot, le chef rebelle du Trou du Nord. Mais quoiqu'il en soit, les indices pointent de manière générale sur une non-islamité du nom Yaya, dans la colonie de Saint Domingue.


* Il ne faudrait pas confondre le nom Canga issu du Congo avec la Nation Canga qui fut l'ethnie de nombreux fugitifs ou marrons à Saint Domingue :



"Un Nègre nommé Pierre-Louis, nation Canga, étampé sur les deux seins DE BOYNES, âgé d'environ 25 à 27 ans, taille d'environ 5 pieds, de bonne corpulence, ayant le visage rond, de grosses lèvres, un gros son de voix, étant estropié du pouce de la main droite, est marron depuis le 18 octobre dernier. Ledit Nègre appartient à l'habitation de Boynes, dite de Béon, à la Plaine du Cul-de-Sac." (51)
Cette "Nation Canga", originaire de la Côte sous le Vent (l'actuel Côte d'Ivoire), ne constituait pas véritablement une ethnie. Il s'agit en fait d'une référence du village non côtière de Kanga Nianzè, situé au Nord d'Abidjan, la capitale de la Côte d'Ivoire. Il fut un lieu où l'on amenait les captifs issus de multiples coins de la Côte d'Ivoire. Le pourquoi de cet "entreposage" de captifs réside dans le nom de lieu : "Kanga", en langue Baoulé, signifie "esclave", et "Gnianzé" désigne "eau" dans laquelle s'effectuait un "Bain purificatoire de l'Oubli".

(Bain purificatoire de l'Oubli à Kanga Nianzè)
Source : ©AFP/ISSOUF SANOGO. Lien permanent : http://www.rfi.fr/emission/20170730-cote-ivoire-route-esclave-kanga-nianze-bain-purification

Ainsi, à Kanga Nianzè, avant d'embarquer de force les captifs "Kanga" dans les bâteaux négriers, on les conduisait dans la rivière Bodo où un officiant les administrait un bain afin de les faire oublier leur identité. (52) Cela rappelle "L'Arbre de l'Oubli" à Ouidah, dans l'ancien Royaume esclavagiste du Dahomey (Bénin actuel) :


 (Emplacement où jadis se trouvait l'arbre de l'oubli à Ouidah)
Source :  Barada-nikto. "Arbre de l'oubli à Ouidah, Bénin : Surmontée d'une représentation de Mami Wata." Lien permanent : https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Arbre_de_l_oubli_ouidah_benin.jpg

Au tour de cet arbre on forçait les captifs à faire plusieurs tours afin d'oublier leur identité avant d'embarquer dans les navires négriers :


"OUIDAH 92
L'ARBRE DE L'OUBLI
En ce lieu se trouvait l'arbre de l'oubli.
Les esclaves mâles devaient
tourner autour de lui neuf fois,
les femmes sept fois.
Ces tours étant accomplis les esclaves
étaient censés devenir amnésiques.
Ils oubliaient complètement leur passé
leurs origines et leur identité culturelle
pour devenir des êtres sans aucune volonté
de réagir ou de se rebeller."

Source :  Ji-Elle. "Ouidah (Bénin) : Arbre de l'Oubli." Lien permanent : https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/8/8f/Ouidah-Arbre_de_l%27Oubli_%282%29.jpg

Et suite à cela, les captifs furent amenés à l'Arbre du Retour :


(Arbre du Retour au Bénin)
Source : Ji-Elle. "Ouidah (Bénin) : l'Arbre du Retour". Lien permanent : https://commons.wikimedia.org/wiki/Category:Arbre_du_Retour,_Ouidah#/media/File:Ouidah-Arbre_du_Retour_(1).jpg

Autour de cet Arbre du Retour, on les faisait effectuer 3 tours, afin qu'à leur mort, leurs âmes puissent revenir dans leur terre d'origine :


"OUIDAH 92
L'ARBRE DU RETOUR
En Sortant de Zomaï
Les esclaves devaient faire
trois fois le tour de cet arbre.
Cette cérémonie signifiait que le souffle
des esclaves reviendrait ici
après leur mort.
Le retour dont il est question ici
n'est donc pas physique mais mystique."

Source : Ji-Elle. "Ouidah (Bénin) : l'Arbre du Retour (3)". Lien permanent : https://commons.wikimedia.org/wiki/Category:Arbre_du_Retour,_Ouidah#/media/File:Ouidah-Arbre_du_Retour_(3).jpg


Le principe génocidaire était donc similaire, qu'il s'agissait de noyer spirituellement la mémoire du captif dans la rivière Bodo, au village de Kanga Nianzè du Côte d'Ivoire ; ou qu'il s'agissait d'étourdir spirituellement le captif via les tours autour de l'Arbre de l'Oubli, à Ouidah, au Bénin. De toute évidence, dans ces deux cas, cela n'a pas fonctionné en ce qui concerne les captifs (esclaves) déportés à Saint Domingue (devenue Haïti). Car l'Haïtien, jadis "Kanga", bien qu'il ait pris le Bain de l'Oubli à Kanga Nianzè, se souvient encore de Cap Lahou, son port d'embarquement en Côte d'Ivoire, qu'il vénère en la Divinité et la Nation sacrée Kaplawou. De même, via la Divinité Èzili Freda Dawomen, l'Haïtien se rappelle et vénère encore sa ville de Ouidah et l'ethnie Foëda s'y rattachant, en dépit d'avoir exécuter les tours de l'Arbre de l'Oubli. Cependant, les Haïtiens traditionalistes conviennent qu'à leur mort, ils retourneront à Nan Ginen, c'est-à-dire à leur terre d'origine, comme leurs ancêtres l'avaient scellé via les tours autour de l'Arbre du Retour.
** http://african-origins.org/african-data/detail/5324 ; http://african-origins.org/african-data/detail/29366 ; http://african-origins.org/african-data/detail/35100 ; http://african-origins.org/african-data/detail/180656

*** Outre la Nation Est-"Africaine" Kamba ou Akamba, dite Camba ou Macamba à Saint Domingue, il existait également la Nation Chamba dite Chambar, Chambat, ou Samba dans cette colonie :

"Le 8 du courant, Samedi de nation Chamba, étampé DL RIVIERE, et au dessou AU FORT-D., se disant à la succession de feu M. D. Rivière, négociant au Fort-Dauphin." (53)
Cette dernière Nation est issue cependant de l'"Afrique" de l'Ouest (Centre-Est du Nigeria) et de l'Afrique" Centrale (Nord-Ouest du Cameroun). Les Chamba, que de nos jours l'on dénomme parfois Camba, furent traditionalistes du temps de la colonie de Saint Domingue. Ils n'ont cessé de résister à l'islam qu'à partir du 20e siècle chrétien. (54) D'ailleurs, au Chambaland traditionaliste, on appelle les clairvoyants "ne tug an", c'est-à-dire des "personnes avec des yeux", (55) un concept qui perdure dans le rituel traditionnel haïtien.
**** À ne pas confondre avec la nation Ibo, grandement plus nombreuse à Saint Domingue, en provenance du Nigeria actuel.



Notes
(1) Moreau de Saint Méry. Description topographique, physique, civile, politique..., Tome 1. Philadelphie, 1797. p. 176.
(2) Sylviane Diouf. Servants of Allah: African Muslims Enslaved in the Americas. New York, 1998. p.150.  
(3) Colonel Malenfant. Des colonies et particulièrement de celle de Saint-Domingue mémoire historique et politique. Paris, 1814. p. 215. 
(4-5) M.L.E. Moreau de Saint Méry. Description topographique, physique, civile, politique..., Tome 1. Philadelphie, 1797. pp.154, 175-176. 
(6-7) M.L.E. Moreau de Saint Méry. Loix et constitutions des colonies françaises de l'Amérique Sous le Vent. Tome 3. Paris, 1795. pp.399, 402-403. 
(8) M.L.E. Moreau de Saint Méry. Description topographique..., Tome 1. Op. Cit. p.176. 
(9) M.L.E. Moreau de Saint Méry. Loix et constitutions... Tome 5. Paris, 1795. p.800. 
(10) Les Affiches Américaines du Mardi 12 janvier 1779. Parution no.2. p.0.  
(11) Moreau de Saint Méry. Loix et constitutions... Tome 3. Op. Cit. pp.167-169. 
(12) Les Affiches Américaines du Mardi 27 novembre 1781. Parution no.48. p.465. 
(13) Les Affiches Américaines du Mercredi 25 janvier 1786. Parution no.4. p.40.
(14) Les Affiches Américaines du Mercredi 24 mai 1786. Parution no.21. p.270.
(15) Hervé du Halgouet. Inventaire d'une habitation à Saint-Domingue. Paris, 1933. p.249. 
(16) Affiches américaines du vendredi 19 juillet 1793. Parution no.9. pp.39-40, 43-44.
(17) P. Roux. Almanach royal d'Hayti. Cap-Henry, 1816. p.91. 
(18) Feuille du commerce, petites affiches et annonces du Port-au-Prince No.14, du 6 avril 1851, p.3.
(19) Claude Planson. Le vaudou. Paris, 1974. pp.257-258.
(20) Prophète Joseph. Dictionnaire Haïtien-Français. Montréal, 2003. p.115. 
(21) M.L.E. Moreau de St. Méry. Description topographique..., Tome 1. Op. Cit. pp.46, 50.
(22) Lovejoy Paul E. "Islam, slavery, and political transformation in West Africa : constraints on the trans-Atlantic slave trade". In: Outre-mers, tome 89, n°336-337, 2e semestre 2002. traites et esclavages : vieux problèmes, nouvelles perspectives ? pp. 247- 282. 
(23) Michael Garfield Smith. Government in Zazzau: 1800-1950. London, 1960. p.6. 
(24) Christoph Henning, Klaus E. Müller, Ute Ritz-Müller. Afrique-La magie dans l’âme : rites, charmes et sorcellerie. Könemann, 2000. p.284. 
(25-26) Benard Nantet. Dictionnaire d'histoire et civilisations africaines. Paris, 1999. pp.134, 43.  
(27) Beauvais Lespinasse. "Danses et chants nationaux d'Haïti. III : Carabinier" In : Le Républicain : Recueil scientifique et littéraire du 1er janvier 1837. No.10. pp.5-8.
(28) M.L.E. Moreau de Saint Méry. Description topographique... Tome 1. Op. Cit. p.28.
(29) Jean-Baptiste-Léonard Durand. Voyage au Sénégal ou Mémoires historiques. Paris, 1802. pp.99-100. 
(30) Dictionnaire (Lexique) Kikongo-Français. [en ligne] Lien permanent : https://www.abibitumikasa.com/forums/showthread.php/48048-Dictionnaire-%28Lexique%29-Kikongo-Fran%C3%A7ais?s=62feb6a36f48a420e6669a1af4115647
(31) Prophète Joseph. Dictionnaire Haïtien-Français. Op. Cit. p.115. 
(32-33) Ignace Nau. "Un Épisode de la Révolution" In : Le Républicain, Recueil Scientifique et Littéraire. No.9, 15 janvier 1836. pp.2-7. 
(34) Les Affiches Américaines du Mercredi 9 août 1786. Parution no.32. p.409.
(35) "The Rev. R. M. Ormerod's journey on the Tana River". In : The Geographical Journal, volume, No.3. September 1896. pp-283-293.  (p.286.) 
(36-37) Les Affiches Américaines du mardi 13 avril 1779. Parution no.15. p.0. 
(38) Les Affiches Américaines du jeudi 11 février 1790. Parution no.12. p.76. 
(39) Les Affiches Américains du mercredi 26 août 1789. Parution no.69. p.463.
(40) Les Affiches Américaines du mercredi 21 juin 1769. Parution no.25. p.194. 
(41) Les Affiches Américaines du jeudi 19 juillet 1787, Parution no.57. p.363.
(42) M.L.E. Moreau de Saint Méry. Description topographique..., Tome 1. Op. Cit. p. 34. 
(43) James G. Leyburn. "The making of a Black nation". In : Studies in the science of society. 1937. pp.377-394.  (p.386) 
(44) Les Affiches Américaines du jeudi 22 avril 1790. Parution no.32. p.219. 
(45) Voegeli Juste-Constan. "La Musique dans le carnaval haïtien : Aspects urbains et ruraux." (Thèse) Montréal, 1994. pp.126-128.
(46) Les Affiches Américaines du samedi 27 décembre 1788. Parution no.52. p.1048. 
(47) Andre F. Chevallier. "Président Légitime" In : Aya Bombé! Revue mensuel. No.8. Port-au-Prince, Mai 1947. pp.8-9.
(48) M.L.E. Moreau de Saint Méry. Description topographique..., Tome 1. Op. Cit. p.34. 
(49) Les Affiches Américaines du mercredi 26 juin 1776. Parution no.26. p.302.
(50) Les Affiches Américaines du samedi 29 juillet 1786. Parution no.30. p.389. 
(51) Les Affiches Américaines du mardi 29 décembre 1778. Parution no.51. p.0.
(52) Voir "Côte d'Ivoire: émotion et souvenir autour de l'esclavage". Lien permanent : https://www.lexpress.fr/actualites/1/styles/cote-d-ivoire-emotion-et-souvenir-autour-de-l-esclavage_1925314.html ; Consulté le 20 décembre 2018. ; Écouter : Élikia M'Bokolo. "Route de l'esclave : enfin, la Côte d'Ivoire!", Podcast : "Mémoire d'un continent" du dimanche 30 juillet 2017. Lien permanent : http://www.rfi.fr/emission/20170730-cote-ivoire-route-esclave-kanga-nianze-bain-purification
(53) Les Affiches Américaines du samedi 13 janvier 1787. Parution no.2. p.661.
(54-55) Richard Fardon. Between God, the Dead and the Wild : Chamba Interpretations of Religion and Ritual. Edinburgh, 1990. pp.190, 36-37.




Comment citer cet article:

Rodney Salnave. "Yaya n'était pas musulman". 10 janvier 2019 ; modifié le 13 fév. 2020. [en ligne] Lien permanent : https://bwakayiman.blogspot.com/2019/01/yaya-netait-pas-musulman.html ; Consulté le [entrez la date]


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